Nouvelles

Penser le montage pour repenser le monde - Les états inventés d’Amérique d’Alberta Nokes. Par Maxime Binet

Penser le montage pour repenser le monde - Les états inventés d’Amérique d’Alberta Nokes. Par Maxime Binet

Mercredi 14 mai 2014

Vous êtes conviés à l’unique rendez-vous de Paralœil cette semaine pour la projection des États inventés d’Amérique (2014). Ce documentaire québécois par Alberta Nokes, inspiré et soutenu par l’œuvre du photographe Pierre Guimond, traite des photographies et plus particulièrement des photomontages réalisés par celui-ci sur une période d’une dizaine d’années, ayant recueilli au delà de 18 000 clichés de l’Amérique.
 
Comme je souhaite en prendre l’habitude, permettez-moi, d’abord, de consacrer quelques lignes au retour sur les dernières projections-événements de Paralœil. Mardi, le 6 mai dernier, était présenté Alex marche à l’amour (2014). Ce périple initiatique bon enfant effectué par l’artiste abitibien Alexandre Castonguay et réalisé par Dominic Leclerc, était l’occasion de venir poser une réflexion à la fois sur l’essence du geste artistique, mais également la chance pour l’artiste de faire une auto-réflexion progressive au fil de sa marche par le biais de la poésie – plus spécifiquement du poème éponyme de Gaston Miron (La marche à l’amour). Personnage tout en humour, c’est sous les éclats de rire bien sentis que le visionnement s’est opéré. La séance était précédée d’une lecture de Miron très inspirée, par Annie Landreville, ainsi que d’une prestation instrumentale envoûtante d’Olivier d’Amours. À la sortie de la projection, le public, convié à une marche toute en poésie, s’est déplacé jusqu’au Bercail, sous l’intonation de Vianney Gallant, pour se conclure en Slam entre les murs du petit repère rimouskois. Cette soirée mémorable a pu avoir lieu grâce à la collaboration de Soliel Perrault, Les Pelleteux d’images, le Bercail, Slam Bas-Saint-Laurent, et bien sûr des personnes citées précédemment.
 
Jeudi dernier, Paralœil nous conviait à la projection du documentaire La dernière harde (2013) de Harold Arsenault, dans le cadre du 24h de science. Le film traitant du cycle de vie des caribous au cœur de la Gaspésie était suivi d’une discussion avec l’équipe du Laboratoire de recherche sur la gestion de la faune terrestre (UQAR). Six étudiants nous ont parlé de leurs recherches personnelles et nous ont donné des témoignages lucides quoique toujours optimistes de la réalité qu’ils observent. Le public, comme les organisateurs, était ravis par cet espace d’échange et ce pont que la projection et la discussion permettaient d’établir avec la communauté scientifique. Une belle formule qui sied parfaitement avec la conscience sociale et environnementale de la ville de Rimouski !
 
 
Passons maintenant au film qui nous attend ce soir. Comme plusieurs gens de mon entourage, la bande-annonce du film a su piquer ma curiosité. Toutefois, celle-ci laissait présager une lourdeur dans le ton et le rythme. Je peux vous dire que cette impression se dissipe assez rapidement alors que le film démarre en crescendo sur une initiation à la démarche du photographe, pour nous mener rapidement aux potentielles questions d’ordre éthique que l’on peut préfigurer. Mais Pierre Guimond ne cherche pas à tromper, au contraire, tel que le dit ouvertement le narrateur et que l’œuvre du photographe tend à l’expliciter, l’artiste cherche à nous faire reconsidérer les choses que nous voyons tellement qu’elles en sont devenues banales, qu’elles se dérobent à notre attention.
 
On peut dire que les photomontages de Pierre Guimond donnent un/des concentré(s) d’Amérique(s). L’artiste cherchant toujours à travailler à partir d’icônes américaines, en confrontant le mythe avec la réalité qui en est symptomatique. Évidemment, défaites de leur aura pour être placées avec ironie au milieu des dérapages qu’elles ont engendrés, les icônes du rêve américain et de l’American Way of Life en perdent leur lustre. À cet effet, le choix d’intercaler des séquences d’archives de la Foire internationale de New York de 1964-1965 est délectable. Ces séquences montrent les plates ambitions américaines, sur le plan technologique, dont les aspirations n’ont d’autres vocations que présenter le confort grotesque, artificiel, et matériel dont rêve la classe moyenne. Ces images deviennent évidemment risibles dans le contexte où elles sont insérées. Ces séquences candides, dont on devine aisément qu’elles devaient témoigner d’une vision optimiste du progrès, viennent subtilement mettre en lumière le propos de la cinéaste en se greffant à l’œuvre photographique mise en lumière par le film. Cette proposition de la cinéaste suggère que le germe de tous les excès de l’Amérique était déjà présent, quoique latent, à l’origine même du modèle de société tel qu’érigé au sortir de la seconde Guerre mondiale. Le film mérite que l’on souligne sa réalisation très effacée, madame Nokes se contentant humblement de laisser surgir des liens entre le passé et le présent, entre mythologie, fabulation et réalité.
 
Formellement, si la voix narratrice peut paraître très/trop présente en ouverture, elle permet néanmoins de constituer un fond nécessaire pour adhérer à la proposition. Elle cède, par la suite, convenablement sa place aux images truquées/tronquées pour revenir par moment. Ces images, bien qu’elles soient fixes – sauf en quelques exceptions –, avec ou sans pan/zoom, contiennent amplement de matière discursive pour s’exprimer d’elles-mêmes et soutenir notre attention. C’est que le film nous bombarde de ces images chargées qui sont faites pour être décodées. Et ces images sont parfois très denses. En tant que spectateur, notre cerveau et notre mémoire fonctionnent à plein régime pour soutenir la cadence. Heureusement, l’environnement sonore fonctionne sur un autre régime et un autre rythme. Des témoignages divers et divergents font état de ces Amériques que la démarche du photographe cherche à constituer – ou à restituer. Ces quelques voix, plus ou moins conscientes de leur condition selon le cas, présentées côte à côte, nous racontent chacune leur Amérique, nous racontent ces images dont elles émergent et demeurent prisonnière.
 
J’aimerais conclure en vous disant que le déplacement en vaut le coup. Vous ne regretterez pas cet objet cinématographique qui nous parle de nos voisins du sud. Plusieurs des problématiques, qu’elles soient sociales, politiques ou autres, ont évidemment une certaine résonnance avec nos modes de vie et de pensée. Bonne réflexion, et bon cinéma !
 
http://paradiscoop.wordpress.com/2014/05/14/penser-le-montage-pour-repenser-le-monde/ 

Retour à la liste des nouvelles