Synopsis
L'histoire d'amour entre le musicien Leonard Cohen et sa muse norvégienne Marianne Ihlen.
critique de André Lavoie
Le Devoir
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On entend souvent, sur un ton blagueur, que ceux et celles qui ont véritablement vécu les années 1960-1970 ont tout oublié. Or, non seulement tous les protagonistes de Marianne & Leonard : Words of Love, fascinant documentaire de Nick Broomfield (Kurt & Courtney, Whitney : Can I Be Me), se souviennent avec exactitude de ce qu’ils ont bu, fumé ou avalé, mais ils ne nous épargnent aucun détail sur le prix qu’ils ont payé pour avoir vécu dans un tel climat d’insouciance, et de liberté totale.
Parmi les nombreux bohémiens réfugiés sur l’île d’Hydra en Grèce, l’un des rares artistes à avoir émergé de cette enclave ensoleillée se nomme Leonard Cohen, là où au début des années 1960 il fera la connaissance d’une belle Norvégienne dont la beauté juvénile ressemble à celle de Mariel Hemingway dans Manhattan, de Woody Allen. Marianne Ihlen n’avait, elle, aucun talent particulier, si ce n’est une grande générosité, et une profonde envie de vivre loin d’un conjoint violent, père de son fils Axel que l’on pourra plus tard qualifier de victime collatérale.
Oui, Marianne Ihlen, c’est bien celle d’une des plus célèbres chansons de Cohen, So Long, Marianne, devenue rapidement la muse officielle – et certains affirment : seule et unique – du poète et chanteur montréalais, lui dont on ne compte plus les conquêtes, et qui n’était pas du genre à s’en cacher. Et comment pouvait-il en être autrement pour celui qui dans la foulée de Bob Dylan allait enfourcher sa guitare, et malgré sa voix nasillarde, conquérir des auditoires en transe, majoritairement féminins. Une situation dont Marianne est pleinement consciente, elle qui partage alors une partie de sa vie avec Cohen, entre la Grèce et les tournées internationales, mais de moins en moins longtemps au fil des années – le chanteur finira par se moquer de cette relation épisodique, même sur scène.
Les extraits de spectacles et de performances télévisées ponctuent un récit raconté par les deux protagonistes alors que leurs voix se superposent aux images délavées de cette longue parenthèse grecque, période fondatrice pour Cohen (et de sa première dépression majeure), charnière pour Marianne qui n’en sortira pas indemne, et encore moins son fils Axel, témoin silencieux des amours malheureuses et des dérives de sa mère. Des amies, des musiciens, des producteurs de disque, tous diront à quel point aimer Leonard Cohen était à la fois facile et impossible : il faisait de chaque femme un être unique, mais à aucune il n’acceptait de troquer sa liberté, et son envie insatiable de libertinage.
Jusqu’à la fin
Cette biographie envoûtante et mélancolique est fortement vampirisée par celui qui offrira d’autres chansons à d’autres femmes comme autant d’offrandes, le cinéaste devant se contenter de quelques images tournées en Grèce, et de photographies en noir et blanc, pour illustrer le parcours modeste de Marianne. Ce qui ne manque pas d’ironie lorsque l’on apprend son inconfort au milieu de tous ces artistes. Et cette absence relative à l’écran décrit parfaitement la place de cette muse dans le monde de Cohen, souvent en retrait, jusqu’à s’effacer complètement en retournant à Oslo pour y mener une vie « normale ».
Mais rien ne sera normal pour celle qui s’éteindra en 2016, trois mois avant l’homme qu’elle aura aimé toute sa vie, quêtant son attention même sur son lit de mort, dans des adieux à distance qui tirent les larmes. « Dance Me to the End of Love », c’est ce que l’on voudrait leur soupirer à l’oreille…
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