Synopsis
Mois de l'Histoire des Noirs
LE RACISME ORDINAIRE
(critique de Robert Daudelin pour le magazine 24 IMAGES)
En février 1968, un groupe d’étudiants de l’université Sir George Williams (l’actuelle Université Concordia), originaires des Antilles anglaises, dépose auprès de l’administration de l’Université un grief dénonçant les pratiques discriminatoires à leur endroit d’un chargé de cours en biologie. Un an plus tard, alors qu’aucune suite réelle n’a encore été donnée à leur démarche, ils décident d’occuper le centre d’informatique du 9e étage de l’université. Les leaders du mouvement sont Noirs, mais plusieurs étudiants blancs se sont joints à eux dans cette action. L’Université fait appel à la police pour les déloger pendant qu’un incendie d’origine mystérieuse détruit une partie du matériel informatique : 97 étudiants sont arrêtés et un procès-fleuve s’ensuit qui se poursuivra sur presque cinq ans.
Le premier mérite du film de Mina Shum – un premier documentaire de long métrage pour cette cinéaste de fiction - est de nous rappeler ces événements, enterrés dans le mouvement de l’histoire, alors qu’ils furent commentés à travers le monde entier au moment où ils se passaient. Mais au-delà de l’évocation de ces faits troublants, c’est la question du racisme « ordinaire » (celui que tout le monde excuse…) à laquelle le film nous propose de réfléchir, sans pour autant évacuer le racisme institutionnel qui constituait vraisemblablement l’un des moteurs de ces événements tragiques.
Le film s’appuie sur un travail de recherche impressionnant : les images de la télévision de l’époque et un matériel d’archives inédit nous restituent la dramatique des événements et le climat social d’une époque où tout semblait se mettre soudainement à bouger. Et ces documents prennent leur sens et leur poids quand ils sont confrontés aux témoignages des protagonistes mêmes de ces événements : témoignages bouleversants qui, malgré les 45 années qui nous séparent des événements et des analyses que tous s’imposent, restent passionnés, accusateurs au besoin. Comment avons-nous pu oublier la violence des mots qui furent utilisés contre ces étudiants (« Burn niggers, burn ») et la rigueur et l’arbitraire (seul les Noirs connurent la prison) des condamnations (déportations, sentences de prison prolongées)? Comment a-t-on pu enterrer des événements aussi troublants, sans en faire un examen approfondi, sans questionner leur sens caché?
De fait la cinéaste aurait pu se contenter d’aligner ces témoignages, tellement ils sont riches et bouleversants; elle a choisi une autre approche, plus exigeante assurément, et sans doute plus productive : elle les a mis en scène en créant un dispositif qui frôle la fiction sans pour autant trahir la qualité de la réflexion des témoins retrouvés. Ces hommes et ces femmes qui ont été abusivement accusés, emprisonnés pour la plupart, sont encore des combattants, des êtres fiers, des citoyens à part entière pour qui le racisme est toujours l’ennemi à abattre.
Si Ninth Floor se permet parfois quelques coquetteries décoratives – les images d’Habitat 67 sous la neige et les fenêtres de l’hôtel Château Champlain, décors de l’exposition universelle qui était encore dans toutes les mémoires – et est tenté par le formatage des grandes émissions documentaires de la télévision (genre Arte, par exemple), c’est surtout du côté d’Errol Morris qu’il faut lui chercher des parentés. Le filmage des entretiens, avec ces effets de caméra de surveillance et ces murs de moniteurs, comme l’usage qui est fait du métro de Montréal, font penser au maître américain. Le soin apporté à la plastique des images et l’espèce d’élégance du film permet également ce rapprochement. Mais tout cela est bien secondaire comparé à la présence des témoins qui, avec une émotion tangible, font revivre pour notre nécessaire éducation, l’une des pages les plus tragiques des années 60 au Québec.
Grâce à Mina Shum une page de notre histoire nous a été restituée. Film militant, Ninth Floor redonne à une lutte exemplaire l’importance et la place qui lui avait été refusée jusqu’à aujourd’hui. Les combattants que la cinéaste a retrouvés sont de véritables héros, bouleversants dans leur dignité : ils doivent désormais savoir que leur lutte n’a pas été vaine, même si elle n’est pas terminée.